Archives quotidiennes : 2009, juin 3

Le professionnel

 

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J’avais pris le vieux tramway à Higashi-Ikebukuro et étais descendu, me semble t-il à Takinogawa 1 chôme, dernière station avant que ce rescapé des transports publiques du Tôkyô d’avant-guerre n’entame cette grande descente vers Ôji. Une portion que le tramway partage avec la circulation automobile en traverserant les arrondissements de Kita et de Arakawa, une portion que je trouve moins pittoresque, à l’exception de son terminus Minowabashi et sa shôtengai (?) aux forts accents de Tôkyô années 50-60. C’était un jour du mois d’avril.

C’est donc à partir de cette station de tramway, Takinogawa, que j’entamai mon errance sans but, loin très loin de la ville néons, de ces quartiers que je fréquente habituellement. Shinjuku-3 chôme et Kabuki-chô, Ginza, Ikebukuro, etcetera, parce que c’est plus pratique ; par la force des choses aussi, puisque jusqu’à présent, le travail c’est en ces lieux que je l’avais trouvé. J’avais éprouvé ce jour-là, le besoin de marcher dans un Tôkyô inconnu, vidé de tous repères familiers et vidé aussi pourquoi pas de sa substance même, ses habitants et de la distraction que ceux-ci peuvent m’apporter en les croisant dans ces rues animées. Cette journée d’errance, je souhaitais l’a consacrer entièrement à la réflexion. Je venais de prendre congés auprès de l’entreprise qui m’employait jusqu’alors et je me retrouvais de ce fait totalement libre d’organiser mon emploi du temps comme j’en avais envie. Plus de contraintes, d’horaires ou de supérieurs à respecter, Libre, totalement libre !

 

Ah ! Quant à la couleur musicale de ce billet, elle apparaîtra en cliquant sur le lien Youtube ci-dessus !
 

Il m’était néanmoins difficile de profiter pleinement de cet état, l’esprit tourmenté par des milliers d’interrogations quant à mon avenir sur cette terre. Tourmenté, tout comme ce ciel menaçant et lourd de ce jour du début du mois d’avril mais qui finalement n’aura été capable que de cracher une petite bruine froide alors que ce sont des trombes d’eau qui aurait été attendu. Cette liberté, je l’avais pourtant cherché, celle-ci même me permettant à présent de déambuler dans les rues étroites et sinueuses de ce Tôkyô oublié pendant que des millions de mes contemporains suaient à la tâche, soit dans des immeubles de bureaux, soit dans des restaurants à préparer le service du soir autour des fourneaux ou que sais-je encore. Et moi, j’errai dans un monde qui vivait au ralenti. Un tramway hors d’âge m’avait débarqué dans un quartier où le temps ne se comptait pas de la même façon. Je traversais Nishigahara et ces successions de petites maisons collées les unes aux autres. Parfois après plusieurs minutes de marche, au croisement de deux rues perpendiculaires, se présentaient à moi deux ou trois commerces, pas plus, qui se regroupaient en un même lieu ; un vieux kissaten (?) au nom exotique et évocateur comme Kenya, un salon de coiffure « cut & perm » à l’enseigne défraîchit et dont les photos des mannequins présentent des modèles de coiffures passées de mode sur la vitrine du salon. Enfin, une épicerie de première nécessité dont le mobilier et l’équipement accusent le poids des ans, tout comme la vieille femme au dos courbé qui continue de servir les quelques voisins qui s’y arrêtent.

A ce moment là, je me voyais encore, dans le bureau du Président, qui après m’avoir convoqué, m’avoir proposé une énième fois de rejoindre définitivement Ginza et de nouvelles responsabilité qui allait avec, alors que la majorité de mes collègues s’étaient vus, après entretien identique, notifié une baisse substantielle de leur salaire ; c’était il y a de cela presque un mois et demi avant ces flâneries en ces lieux. Oui, j’avais fais preuve d’une certaine insolence. En refusant ses propositions et en lui proposant de commencer à me chercher un remplaçant et que de mon côté j’allais chercher un nouveau Président. Et d’ajouter que le premier qui trouvait, irait dire sayônara à l’autre ! Je souris en revoyant dans mon esprit sa bouche qui resta ouverte de longues secondes, résultant d’un choc que son statut ne lui avait jusqu’à présent pas permis de vivre. Dans un même temps, je trouvais mon attitude passée, plutôt minable ainsi, je cherchai à rapidement oublier cet épisode en contemplant le spectacle que m’offrait ce quartier résidentiel. Je finis par déboucher sur Hakuzan-doori, une de ces très grandes artères que compte la capitale nippone ( hors autoroutes urbaines ) telles que les célèbres Meiji-doori, Yamate-doori ou encore Shôwa-doori pour ne citer qu’elles. Hakuzan-doori traçant une ligne entre Tôkyô-Nord jusqu’au Sud, jusqu’aux jardins impériaux. Je reconnaissais cette artère bruyante, où se côtoient, stations-services, concessionnaires autos, family-restaurants avec parking, petits ateliers industriels et bureaux techniques de NTT. Mon errance n’avait dorénavant plus rien de pittoresque.

Bien que n’ayant pas encore trouvé de nouvel emploi, j’avais tout de même décidé d’être le premier à dire sayônara. D’abord parce que mes horaires de travail ne me permettait pas de partir à la recherche d’un travail et puis aussi parce que j’étais sûr de la valeur de ma petite personne et qu’un type aussi doué que moi ne pouvait rester inactif longtemps. D’ailleurs, il devait, à cet instant là, être des dizaines de shachô à attendre que je me manifeste pour me proposer un travail dans cette mégalopole surpeuplée ! Je me souvenais attendre un appel de cet importateur de fromages pour participer à une foire dans un grand magasin tokyoïte mais de leurs côtés, ils semblait prendre tout leur temps et tardaient à se manifester. Je crois bien que je commençais à regretter cette insouciance qui me caractérise. Dans les journaux, à la télévision et sur le net, on ne parlait plus que de ces licenciements massifs, de la chute des exportations, des plongeons des bourses mondiales et moi qui … Où allais-je donc ? Je quittai rapidement Hakuzan-doori et son continuel brouhaha découlant d’une trop dense circulation, Hakuzan-doori et ses trottoirs trop larges et ses passagers qui y marchent d’un pas trop rapide, pour m’enfoncer à nouveau dans Takinogawa, … Non Nishigahara peut-être, puis Komagome ? Je m’étais visiblement perdu mais c’était sans importance, j’y retrouvais le calme recherché et cette liberté d’aller. Je découvrais rapidement l’existence d’une avenue qui m’était jusque là inconnue, celle-ci était pourvue d’innombrables commerces puis après quelques pas, dans une étroite rue perpendiculaire, je découvris une shôtengai animée et plutôt bien fournie en magasins de fruits et légumes, en yakitori-ya, en kissaten, en magasin de thés ou de senbei (?) mais aussi en une multitude de boutiques distribuant des produits non-alimentaires. Une shôtengai comme il en existe un peu partout au Japon, que l’on a couvert d’un toit de tôle, de verre ou de plexiglas pour un maximum de confort, l’ancêtre du centre-commercial en fin de compte. 

 

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Etrangement, cette rue commerçante couverte n’était relié à aucune gare comme cela est habituellement le cas. Ainsi, je ne pouvais pas encore être en mesure de connaître ma position exacte dans cet océan urbain, une gare m’aurait aidé dans cette démarche ; de plus elle était plutôt longue cette shôtengai de Somei-Ginza même si au fur et à mesure de mon exploration, je remarquais que l’animation s’estompait progressivement et que les commerces présents y étaient plus espacés, moins fréquentés aussi. Comme très souvent dans ce genre de lieux, des haut-parleurs y diffusait une ambiance sonore, sans doute afin d’y apporter une couleur sonore et une ambiance traduisant le dynamisme de ce lieu de commerces y faisait peut-être même la fierté du syndicat des commerçant de Somei-Ginza. Justement, je reconnu un air qui m’était familier, je cessai alors ma progression y écoutais cette musique qui sortait des haut-parleurs. Il s’agissait de la musique du film « le professionnel » de Ennio Morricone. Cela me fit sourire je crois bien. Autour de moi, le ciel était toujours sombre et toujours aussi menaçant. Non loin de là, on y construisait une nouvelle maison, dont les agrafeuses électriques ajoutaient un rythme nouveau à l’oeuvre du compositeur ; quelques riverains passaient devant moi, de retour de courses, les cabas pleins, certains d »entre-eux entamaient une conversation en se rencontrant, souvent il était question de ces nuages noirs qui avaient fait leur apparition depuis la matinée. Un homme la cinquantaine passé entra dans une toute petite boutique proche qui y vendait des sandwiches au pain de mie. Il prenait des nouvelles de ce couple âgé qui tenait boutique. Je connaissais cette voix.  

 

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Les haut-parleurs diffusaient à présent un air populaire de variété japonaise que je ne reconnaissais pas. Je restais au milieu de la rue faisant face à la petite boutique de sandwiches et attendais que l’homme en sorte, je riais intérieurement. Il avait choisi un sandwich au thon et à la mayonnaise ainsi qu’un aux oeufs brouillés ; de là où je me trouvais j’avais pu intercepter toute la conversation qui s’échappait du magasin. En sortant, il rangea ses achats dans son sac en cuir et leva la tête machinalement avant de s’engager dans la rue, sans doute afin de s’assurer qu’il ne couperait pas la route à un vélo ou qu’il ne bousculerait pas une vieille dame de retour de courses. Finalement, il s’immobilisa presque aussitôt devant moi, je lui décrochait un large sourire . C’était bien lui, Hakii-san ! Il s’en suivit une série de  » ça alors  » que  » oui-oui le monde est petit » et puis des  » qu’est-ce que tu deviens  » de circonstances. La dernière fois que nous nous étions vus; cela devait remonter à trois ans à peu près. Hakii-san était venu me voir lorsque je travaillais dans ce bar à Ningyôchô, nous nous étions croisés également lors de nomikai entre anciens collègues de travail, puis nous nous sommes perdus de vue. Nous avions travaillé ensemble par le passé, dans le quartier d’affaires de Hamamatsuchô, pour la filiale nippone d’une société taïwanaise bien implantée en Asie. Il m’était arrivé de travailler quelquefois directement sous ses ordres lors des préparatifs du lancement – raté – de nouveaux produits et enfin, c’est encore Hakii-san qui avait pesé auprès des dirigeants pour que j’aille à Taipeh en « business-trip » avec Suzuki-kun. A l’époque, Hakii-san avait été appelé pour apporter ses compétences marketing et son professionalisme aux services de la petite filiale nippone. Outre le métier de consultant en marketing qu’il exerce de-ci, de-là selon les opportunités, le reste du temps, Hakii-san est le Président d’une société qui gère une dizaine de petits centres d’accueil pour personnes âgées dépendantes et emploie environs 120 personnes, principalement des aides-soignantes. Aussi, il venait tout juste de racheter une petite maison de retraite à Kawaguchi. Ses bureaux étant à Ootsuka, il se rendait tranquillement à pieds jusqu’à la petite maison de retraite qu’il possède à Komagome, un centre d’accueil d’une capacité de dix lits pas plus. A chaque fois qu’il traverse la shôtengai de Somei-Ginza, il s’arrête toujours pour y acheter des sandwiches à ces petits vieux.

« – …Parce qu’ils ne doivent pas avoir beaucoup de clients, et cela me fait de la peine. Dis, je dois porter des documents à la maison de retraite de Komagome, tu m’accompagnes, c’est à dix minutes ?  Depuis le temps que tu me questionnais sur mes activités, tu verras enfin par toi-même ? « 

Ma foi, oui pourquoi pas, j’acceptai l’invitation avec plaisir, également ravi de pouvoir discuter un peu sur le chemin. Je dois aussi avouer que bien que n’ayant pas pour habitude de juger les gens que je suis amené à croiser, uniquement sur leurs apparences, j’avais un peu de mal à imaginer Hakii en big boss de maisons de retraites. Bien que je ne lui avais jamais notifié ces quelques interrogations qui m’habitaient, je pense bien qu’il avait deviné par lui-même. Je me sentais d’ailleurs un peu honteux à l’idée qu’il me présente à ses pensionnaires et à son staff afin de dissiper d’éventuels doutes. Nous n’y resterons pas longtemps dans les murs du petit centre d’accueil pour personnes dépendantes qui occupait le troisième étage d’un petit immeuble situé à quelques pas de la shôtengai. D’abord parce que des retrouvailles de ce genre, dans un coin paumé de l’immensité tokyoite, méritaient que l’on discute autour d’une bonne table ! 

 » – A deux pas d’ici, il y a un izakaya qui sert des spécialités de Kyôtô, tu es mon invité et tu verras, ils ont d’excellents shôchu ! « 

Hakii-san se souvenait que j’aimais le shôchu ! Nous passerons trois heures durant, à nous remémorer le passé puis à évoquer le sort de ceux qui étaient restés dans la boîte mais dont la moitié se retrouvent en procédure de licenciement suite à des problèmes économiques sévères que rencontre la filiale nippone de la multinationale taïwanaise ; nous évoquerons également, ce quartier où il avait grandit et où il débuta dans le métier en ouvrant son premier centre d’accueil, à Komagome. nous reviendrons aussi et à intervalles régulier sur cette incroyable rencontre qui nous avait amené jusqu’à cet izakaya ce soir là. Nous nous promettions alors de nous faire rapidement, une nomikai entre anciens. 

C’est aussi dans cet izakaya, que je reçu un mail du fromager m’invitant à les rappeler le plus rapidement possible afin de prendre connaissances de certaines modalités, pour la foire aux vins et aux fromages à laquelle j’étais invité à participer. 

 

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